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Texte écrit en 1995 par Eric Divry, arrière arrière petit fils de l'artiste, à l'occasion du centenaire de la mort d'Emile Munier

ENFANCE AUX GOBELINS

Emile Munier voit le jour le 2 juin 1840 à Paris, 66 rue des Fossés St Marcel. Il est baptisé en l'église de St Médard.

Son père, Pierre François Munier est artiste tapissier à la Manufacture Nationale des Gobelins.

Sa mère, Marie Louise Carpentier, originaire de Liéramont, près de Péronne, est liseuse dans un tissage de cachemires.

Comme toutes les familles d'artistes tapissiers, les Munier sont logés à la Manufacture.

Les ressources du ménage sont modestes.

Emile et son frère, aîné d'un an, François, fréquentent l'école communale que l'on appelait alors l'école "mutuelle" parce qu'un bon élève sert de moniteur à dix autres.

Le jeune Emile, intelligent, doté de mémoire et d'observation, est moniteur : il est d'un caractère égal et pacifique, mais sait se montrer ferme.

Pierre François et Marie Louise Munier ont un troisième fils en 1851 : Florimond, qui plus tard est envoyé en pension. La situation de Pierre François, devenu chef d'atelier, avait du s'améliorer.

Les trois frères, François Emile et Florimond sont doués pour le dessin. Chacun d'eux réalise un autoportrait au pastel entre 13 et 14 ans. Celui d'Emile est daté de 1854.

Tous trois entrent aux Gobelins ; seul l'aîné y reste et finira sa carrière comme chef d'atelier comme son père.

Emile Munier devient artiste tapissier. Il faut pour y ariver suivre des cours de dessin, peinture, anatomie, perspective et chimie relative aux teintures des laines et aux rapports des teintes ou de leur opposition.

Les cours de dessin sont alors dirigés par Abel Lucas. Portraitiste et pastelliste, il était né à Versigny en 1814. Elève de Malard, il avait exposé au Salon entre 1844 et 1864. Il était frère de Hippolyte Lucas, peintre de genre et portraitiste.

Les cours de fleurs et ornements sont assurés par Monsieur Chabale, ceux de chimie par Monsieur Chevreuil et par Monsieur Decaux ingénieur des Arts et Manufactures.

Lorsque l'élève savait parfaitement dessiner et peindre, on le mettait devant un métier et il devait reproduire un ornement de fleurs ou un visage. Chacun de ces fragments de tapisserie portait la mention tissée "Etude d'élève"

Emile Munier manifeste un grand talent dans cet exercice. Il réalise le visage et le buste d'une femme sujet d'une peinture de Boucher. Cette "Etude d'élève" est empreinte d'une finesse et d'une vitalité qui dépassent la facture habituelle d'une tapisserie.

La Manufacture des Gobelins était un petit monde. A l'entrée, le concierge surveillait les allées et venues. Passé le mur et la loge, on se trouvait dans de vastes cours, pavées d'énormes pavés de grès d'ailleurs très irréguliers et descendant en pente vers la Bièvre. Ces cours étaient entourées de bâtiments où se trouvaient intercalés le jardin de l'Administrateur contigu au logement qu'il occupait et celui du Contrôleur de comptabilité proche de l'habitation de ce dernier - plus le quinconce et qui était à la disposition de tous les habitants des Gobelins.

L'aumônier, car il y avait une chapelle, était également logé ainsi que tous les employés. Il y avait dans ces vastes bâtiments d'aspect massif les ateliers de tapisserie dits basse lice, ceux des tapis dits haute lice ou savonnerie, des ateliers de dessin et peinture, un laboratoire pour l'étude des teintures et colorants employés à la teinture des laines et des soies employées pour la tapisserie. Un atelier de réparation ou rentracture employait des femmes.

Une galerie exposition ouverte à certains jours au public et au fond de la deuxième cour une chapelle.

Etaient logés l'Administrateur, le Contrôleur de comptabilité, l'Aumônier, les artistes tapissiers et ceux que l'on nommait les "hommes de peine" qui entretenaient tout ce qui n'était pas logement personnel.

Les logements du fond de la deuxième cour donnaient sur la Bièvre, qui alors coulait à l'air libre et dont l'eau était empuantie par les résidus des tanneries voisines (aujourd'hui, cette partie de la rue Croulebarbe est voûtée). Au delà la vue s'étendait sur les jardins des Gobelins dont chaque employé avait une partie enclose de haies d'aubépines.

Depuis l'Administateur jusqu'en bas de la hiérarchie, chacun avait son jardin dans cet enclos très vaste planté d'arbres fruitiers et que chacun cultivait avec amour.

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UN TAPISSIER DECOUVRE LA PEINTURE

Le 10 août 1861, Emile Munier épouse dans la chapelle des Gobelins Henriette Lucas la fille de son professeur de peinture. Agée comme lui de 21 ans, très intelligente et très bonne, Henriette était d'une vivacité et d'un entrain sans égal. Elle était professeur de piano.

Ils logent aux Gobelins. Emile Munier alors artiste tapissier à la Manufacture continuait à dessiner et à peindre aux côtés de son beau-père Abel Lucas professeur à l'Ecole des Beaux Arts. Il étudie avec lui la peinture dans la tradition française, notamment en interprétant des oeuvres de Boucher.

Abel Lucas a aussi pour élève Sargine Augrand, la filleule de Germain Campenon, contrôleur de la Manufacture et ancien fonctionnaire de la liste civile de Louis Philippe. La jeune femme devenue portraitiste au pastel avait acquis une certaine renommée et expose au Salon à partir de 1863 et jusqu'à 1870. Elle était proche des Munier et des Lucas.

Au cours des années 1860, Emile Munier est trois fois médaillé aux Beaux-Arts.En 1869 Emile Munier expose au Salon aux côtés de son beau-père Abel Lucas.

Le Salon était une institution : créé à la fin du 17ème siècle, présentant chaque année au printemps à Paris les oeuvres des peintres renommés.

Au milieu du 19ème siècle, il était devenu avec l'Ecole des Beaux Arts et l'Institut, l'expression des responsables de la peinture officielle.

Celle ci est dominée depuis le Second empire par un mouvement qui s'appellera bientôt l'Académisme : né sous Louis Philippe et héritier de Ingres et Corot, ce mouvement prônait le retour aux valeurs et aux techniques classiques.

Ses principaux animateurs étaient Alexandre Cabanel (né en 1814), William Bouguereau (né en 1825) tous deux élèves de FE Picot et JG.Gerôme (né en 1824) filleul du célèbre négociant en art Goupil.

Tous trois furent élèves aux Beaux Arts et commencèrent à exposer au Salon pendant les années 1840. Ils devinrent chacun lauréats du Grand Prix de Rome entre 1843 et 1850.

Bénéficiant du soutien de Napoléon III et honorés lors des expositions universelles, ils prennent le contrôle du jury du Salon et entrent à l'Institut des Beaux-Arts.

Le Vicomte de Chennevières Directeur de l'Ecole des Beaux Arts à partir de 1875, lié à Abel Lucas favorise leur mouvement.

Emile Munier devient le disciple de Bouguereau au moment ou l'Académisme triomphe et s'oppose au courant impressionniste naissant.

L'Académisme est parfois qualifié "d'art pompier" par référence aux cuirasses des militaires que l'on retrouve dans les peintures de Meissonier. Mais ce sont les personnages d'enfants , sujets favoris de Bouguereau qui inspirent Emile Munier.

En 1867, Henriette met au monde un fils, Emile Henri et quand son amie Sargine Augrand vient la voir et s'amuser avec le bébé, Henriette lui dit " à vous, je le confierai volontiers". Elle ne croit pas si bien dire.

Six semaines après la naissance, ayant contracté des rhumatismes graves, Henriette meurt prématurément.

Devenu veuf, Emile confie son jeune fils à ses beaux parents Lucas et partage son temps avec ceux-ci et avec ses parents qui tous habitent les Gobelins.

En 1870, lors de la déclaration de guerre avec la Prusse, Emile est rangé dans le dernier contingent à mobiliser. Il part cependant comme sergent fourrier ; son régiment est campé à Montretout, au dessus de Saint Cloud. Lorsque celui ci doit attaquer, l'armistice est signée.

Avant le siège de Paris, Monsieur et Madame Lucas, avec leur petit fils Henri Munier agé de trois ans s'étaient réfugiés à La Rochelle pour l'unique raison que le train où ils avaient réussi à prendre place y allait !

Pendant le siège de 1871, les Gobelins sont endommagés sérieusement par un incendie causé par les bombardements. Les bâtiments sont protégés mais le magasin est atteint.

Emile Munier, ainsi que d'autres, est autorisé à garder des tapisseries endommagées par le feu mais encore présentables après lavage. Il conserve ainsi un fragment représentant le Pape porté sur la Sedia gestatore. On y voit le bas de la robe blanche du pape et deux des personnages qui le portent sur leurs épaules.

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UN JEUNE COUPLE DE PEINTRES

En 1871 l'ordre étant rétabli, Emile Munier, trouvant sa situation d'artiste tapissier aux Gobelins sans avenir, y renonce le 31 octobre pour se consacrer uniquement à la peinture. Il devient professeur de la ville de Paris et donne des cours du soir pour adultes trois fois par semaine. Il décide de se remarier avec Sargine Augrand sa condisciple et amie des familles Munier et Lucas. Le millésime 1871 ayant laissé de si mauvais souvenirs, le mariage a lieu le 4 janvier 1872 à Notre Dame de l'Annonciation à Paris par un temps de neige et de froid.

Sargine donnait elle aussi des leçons de dessin : elle avait pour élève des dames et jeunes filles au Sacré Coeur. Elle doit cesser son cours après son mariage : on ne les confiait alors qu'à des femmes veuves ou célibataires. Les cours d'Emile Munier sont au début de leur mariage à peu près les seules ressources du ménage qui occupait alors au 8 rue des Beaux Arts un petit appartement et un atelier au 7ème étage d'une maison en comptant huit, chose rare à l'époque.

Corot et Fantin Latour avaient également chacun leur atelier dans cet immeuble. Emile Munier qui fréquente aussi l'atelier de William Bouguereau est aimé et estimé du maître qui le surnommait "la sagesse" ou " le sage Munier".

Il a dans son propre atelier une poupée appartenant à sa femme Sargine. Cette poupée curieusement surnommée "Sagesse" de la taille d'un enfant de 5 ans a plusieurs costumes. Emile Munier qui peint alors déjà beaucoup de jeunes enfants l'utilise probablement comme mannequin.

En 1873, il peint Le Voleur de Pommes et La Leçon de Tricot (ou Special Moment) puis Favourite Kitten en 1874.

En 1874, Sargine Munier donne naissance à une fille : Marie Louise. Emile et Sargine emménagent alors dans un appartement, 104 rue d'Assas au 2ème étage d'un immeuble entre deux cours fleuries.

Pendant six ans le peintre conserve son atelier rue des beaux Arts où il se rend à pied tous les jours et emmène avec lui un repas froid.

Sa fille Marie Louise raconte que c'était une joie pour elle d'aller le voir lorsque sa mère ayant à faire des courses ou des visites la déposait à son atelier :

"La journée finie, mon père rangeait sa palette et lavait ses pinceaux, opération qui m'amusait toujours et se faisait à une fontaine en zinc peint gris moucheté blanc, qui avait la forme d'une colonne cannelée surmontée d'une urne réservoir d'eau. Un col de cygne en cuivre laissait couler un mince filet d'eau au dessus d'une coquille également en zinc peint et faisait corps avec la colonne. L'eau usagée descendait dans le soubassement de la colonne qui contenait un tiroir destinée à la recevoir.

On rentrait à pied vers la rue d'Assas par la rue de Sèvres et la rue Bonaparte. Cette dernière me plaisait et les magasins de statues religieuses m'éblouissaient et il y avait surtout un bazar d'où je ne sortais jamais les mains vides. Me plaisaient en particulier des palettes en carton en forme d'étoile sur lesquelles étaient collées cinq ou six couleurs d'aquarelles (inusables) et un pinceau. Mon père avait un don particulier pour amuser les enfants qu'il aimait. Je lui ai entendu dire plus tard qu'il s'était quelquefois ennuyé dans la société des grandes personnes mais jamais avec des enfants, n'importe quels enfants. Il savait les mettre en valeur aussi bien en peinture que dans la vie courante."

Emile va parfois séjourner en été à Chennevières chez ses beaux parents Lucas. Il y emmène sa famille pendant l'été 1875. C'est sans doute là qu'il réalise le dessin de deux jeunes filles tirant de l'eau dont il s'inspira pour peindre La Source (1875).

A partir de 1876 et pendant plusieurs années, les Munier vont passer leurs vacances d'été sur les côtes normandes. Tout d'abord à Arromanches et Grandcamp.

Emile y fait de nombreux dessins et quelques aquarelles de scènes de bateaux et de pêcheurs pendant l'été 1876. En 1877 et 1878 ils séjournent à Grandcamp où Emile retrouve son ami Jaquet graveur et grand prix de Rome qui vient en Normandie avec sa femme et son fils. Les deux familles sortent ensemble et achètent des meubles normands anciens.

C'est aussi en 1878 que Florimond Munier, le jeune frère d'Emile se marie avec Anna Besson.

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LES PREMIERS SUCCES

Pendant l'été 1879, Emile Munier va dans les Ardennes réaliser le portrait de Madame de Chanzy et rejoint sa famille en vacances en Normandie.

C'est peut-être pendant ce voyage qu'il découvre l'Ecole de Nancy et se lie avec Emile Gallé avec qui il collaborera.

A cette époque il commence à être connu. Il a une nombreuse clientèle américaine qui trouve que les sept étages de l'atelier de la rue des Beaux Arts sont bien durs à monter sans ascenseur.

Il décide en 1880 d'acheter une maison à Passy au 45 Boulevard Beauséjour en bordure du chemin de fer de ceinture et du Ranelagh à la porte du Bois de Boulogne. La maison vaste et agréable dispose d'un jardin planté d'arbres.

Il y fait construire sur le deuxième étage un atelier de six mètres de hauteur de plafond.

Emile Munier poursuit ses cours de dessin pour adultes de la ville de Paris trois fois par semaine. Il obtient alors.de changer le cours de la rue du Fer à Moulin pour celui de la rue Decamps à Passy.

Au début de 1881, les Munier emménagent dans leur maison du boulevard Beauséjour pour le plus grand bonheur de leurs enfants Henri et la jeune Marie Louise alors agés de 14 et 7 ans. Ceux ci lui inspirent plusieurs de ses tableaux au début des années 1880 et plus particulièrement Marie Louise qui lui servit vraissemblablement de sujet pour Naughty boy en 1880, L'enfant et le pantin en 1880 et La jeune fille et la poupée ou Jalousie en 1882.

C'est d'ailleurs l'un de ces tableaux qui lui valut une mention "honorable" au salon de 1882. A partir de cette époque les jeunes enfants devinrent les sujets favoris d'Emile Munier.

Après deux étés passés à Villerville près de Trouville et Honfleur en 1880 et 1881, Emile et sa famille passeront régulièrement leurs vacances en Auvergne. En aout 1882, ils séjournent à Royat pour soigner les crises hépatiques de Sargine Munier. Celle ci rentre à Paris dès septembre pour recueillir le dernier soupir de sa marraine Sargine Campenon.

Emile Munier resté en Auvergne part à pied avec son fils Henri vers le Mont Dore. Là ils prennent ensemble la diligence à impériale pour Laquenille. Rencontrant une bourrasque de neige précoce, Emile prend froid et après avoir trainé plusieurs jours de malaises, il contracte une pleurésie assez grave dont il se remet .

En 1883, les Munier passent l'été dans les Alpes : après un court voyage à Genève où ils font le tour du lac, ils séjournent à Aix les Bains et visitent le lac du Bourget. C'est sans doute au cours de ce voyage qu'Emile peint La jeune fille au lac et La petite fille aux oranges, sujet qu'il reprendra en 1886 au pastel.

Pendant leur séjour à Aix , Emile assiste souvent à l'opéra italien.

De retour à Paris il conserve un goût accentué pour la musique et le chant : il s'intéresse beaucoup au cours de solfège de sa fille Marie Louise et chante alors que sa femme Sargine l'accompagne au piano.

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LE PEINTRE DES ENFANTS

En janvier 1885, sa mère meurt à Paris à l'âge de 74 ans. Elle avait vécu chez lui puis chez son frère Florimond près des Gobelins.

Son beau-père Abel Lucas meurt à son tour en 1885.

Au printemps 1885, Marie Louise Munier fait sa première communion.. Emile, qui avait déjà peint une Vierge auréolée en 1883, réalise sans doute à cette occasion un Enfant Jésus qui deviendra l'objet d'une image religieuse très populaire. Celle ci restera un grand classique des images de 1ère communion jusqu'au milieu du 20ème siècle.

C'est aussi en 1885 qu'Emile Munier peint les Animaux favoris plus connu sous son titre anglosaxon Favourite Pets: ce tableau qui représente une fillette potelée jouant sur son lit avec un chaton et un jeune chien, aura beaucoup de succès aux Etats Unis : acheté par un collectionneur américain, il sera reproduit maintes fois comme sujet pour une affiche publicitaire de Pears Soap. Vendu par Christies à New York en 1993, ce tableau atteindra un prix record pour ce peintre (80000$). Il restera aussi longtemps le sujet d'une carte de voeux toujours très populaire aux Etats Unis.

Emile Munier s'affirme dans cette oeuvre comme le peintre des jeunes enfants souvent entourés de leurs animaux familiers.

Ainsi en 1886 il peint à nouveau deux tableaux de Fillettes jouant avec leurs chiens et leurs chats

Ce thème qui inspire plusieurs autres de ses peintures connait les faveurs des collectionneurs américains qui s'intéressent de plus en plus à ses oeuvres.

Emile Munier va développer un talent exceptionnel pour capter les expressions fugitives et les mouvements rapides de tels sujets.

Il va aussi s'interesser aux enfants dans le cadre de la campagne.

A partir de cette année 1886, il retourne régulièrement en Auvergne où il réalise de nombreux croquis de jeunes paysans parmi les animaux de la ferme.

Ces scènes campagnardes vont inspirer plusieurs dessins et tableaux :

Le jeune chasseur (1888) La basse-cour (1889) La paysanne à la fourche (1889) La journée des confitures (1891) La jeune fille et le panier de cerises (1891) La fillette au tricot - La lettre d'amour

Il développe aussi le thème de la jeune femme et l'enfant avec

Le Bain (1889) qui est inspiré à l'évidence par le tableau de Bouguereau : La jeune fille et l'enfant (1878).

Il décline ce sujet dans des compositions plus citadines avec La mère habillant son enfant (1889), La prière (1887), Lecture pieuse (1888) et Distracting the baby.

En 1886, il reprend aussi le thème des angelots. Il avait déjà abordé ce thème trois ans plus tôt avec Les deux cupidons (1883)

Son tableau L'amour désarmé (Love disarmed) présenté au Salon de 1886 constitue curieusement une reprise du thème de l'oeuvre célèbre de W Bougereau : La jeune fille se défendant contre l'Amour (1880).

Les collectionneurs américains ont d'ailleurs rapproché ces deux tableaux attribuant à tort Love disarmed à W Bouguereau.

L'été 1887, les Munier retournent à Royat soigner les crises d'hépatite de Sargine. Ils voyagent dans la région et passent plusieurs soirées musicales dans le parc de l'Hotel du Nord où ils séjournent. C'est aussi en 1887 qu'un tableau d'Emile Munier apparaît pour la première fois en vente publique : La jeune fille à la poupée (ou Jalousie) est vendu 1450 F Or à la vente Goupil à Paris.

En 1888 le jeune Henri Munier, alors élève au lycée Henri IV, est reçu brillamment au concours de l'Ecole Centrale.

La même année, Emile Munier passe à nouveau l'été à Royat avec sa famille et y retrouve son frère Florimond avec sa jeune femme Jeanne.

L'année 1889 est celle de l'Exposition Universelle du centenaire de la Révolution Française.

La famille Munier passe ses vacances au Mont Dore non sans séjourner quelques jours à Royat.

Il reçoit la visite d'un couple de riches amateurs de Louisiane, Mr et Mrs Chapman H. Hyams qui collectionnent les peintures françaises contemporaines achetant notament des oeuvres de Henner, Bouguereau, Gerôme, Vinel et Schreye. Emile Munier réalise leur portrait en 1889 qui rejoindra leur collection maintenant conservée au Musée d'Art de La Nouvelle Orléans (donation Hyams).

En 1890, Marie Louise Munier achève ses études. Son père veut lui faire faire de la musique et de la peinture. La jeune fille aime le dessin mais n'a pas hérité du talent paternel.

Au Salon de 1890, Emile Munier expose Rêve d'enfant : une petite fille dans son lit entourée de deux figures d'anges allégoriques. le visage de la fillette aux yeux pleins d'émotion sera repris par le peintre dans plusieurs oeuvres postérieures.

L'année 1891 voit le départ d'Henri Munier au service militaire dans l'artillerie à Orléans.

Emile Munier peint une Sainte Barbe pour décorer la salle des fêtes du régiment de son fils le 2 décembre, jour de la Sainte Patronne des artilleurs.

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1892

Pendant l'hiver 1892, le froid est rigoureux et la jeunesse de Passy patine sur le lac du Bois de Boulogne. Marie Louise y fait ses premiers "huit" patinant les deux mains dans le manchon.

Un jeune anglais, élève du cours de dessin de son père, lui donne des leçons sur la glace, tandis qu'Emile Munier l'accompagne dans ses glissades et fait des croquis des patineurs. Observateur malicieux, il rapporte à chaque fois un petit fait amusant.

Après leur habituel séjour d'été au Mont Dore, les Munier entreprennent un grand voyage vers le sud de la France et Marie Louise raconte :

Quittant le Mont Dore vers le 15 ou 20 septembre, notre première halte fut Nimes où nous arrivions vers minuit.

C'était pour moi le dépaysement complet au réveil et l'émerveillement.

J'ai gardé un souvenir enchanté de la végétation différente de ce que je connaissais : les grands ifs, les lauriers, les orangers portant leurs fruits, les arènes imposantes, la Maison Carrée si bien proportionnée mais dont les marches sont si hautes et si étroites, la fontaine si bleue !

Après une seule journée, nous allions coucher à Arles. Je n'aimais guère ces arrivées de nuit que je trouvais sinistres.

A l'hôtel du Forum, on nous donna des chambres immenses - je partageais toujours celle de Louise - réveil matinal au son des cloches de Sainte Trophine, mais que nous ne voyons pas.

Les arênes d'Arles faites pour la défense me plaisaient mieux que celles de Nîmes, d'ailleurs tout me charmait... malgré la chaleur. Le plus dur, comme chaleur, fut le trajet d'Arles à Marseille de 2 h à 5 h dans un compartiment complet surchauffé par le soleil et peuplé de femmes jacassant comme des perruches et sans arrêt.

J'étais émerveillée de tout - une seule ombre au tableau, les moustiques. 3 jours à Marseille puis départ pour Toulouse - une longue journée de chemin de fer. Un orage bienfaisant avait rafraîchi la température presque un peu trop pour mes robes de toile.

Pour éviter l'encombrement des bagages, nous avions chacun un tout petit paquet contenant l'extrême indispensable qui devait être réduit à bien peu de chose puisque les 4 réunis tenaient dans un sac de voyage dont mon père se chargeait. On retrouvait les malles tous les 4 ou 5 jours. En fait on ne les eut qu'à Luchon; il était temps, nos robes de toile étaient devenues tout à fait insuffisantes pour la montagne fin septembre.

Luchon triste parce que la saison finie, tous les magasins étaient fermés. Très belle excursion à la Vallée du Lys et aux Gorges de l'Enfer, d'où, par une fente du rocher, on aperçoit le glacier ; retour transi dans le landau découvert, transi mais ravi.

Bagnères, ville quelconque ; logé chez un aimable vieux ménage d'officier retraité qui m'offre au départ des roses rouges que j'aime : 3 fleurs sur une même tige.

Lourdes, déjeuner, dévotions. J'offre à la Sainte Vierge mes chères roses rouges en lui demandant en échange un bon mari. Douceur de Lourdes à peu près dépeuplé et dont les travaux ne sont pas terminés.

Arrivée à Pau pour souper et coucher - souper, pas moi - qui ai comme les miens goûté avec du pain et des pêches superbes et délicieuses, mais qui m'ont causé des crampes d'estomac si douloureuses que je ne puis avaler qu'un peu de potage, et cependant je meurs de faim.

Le lendemain, qui devait être un Dimanche, messe à une chapelle en face de la maison que nous habitons - visite du Château - vue admirable, puis l'après-midi, par chemin de fer et diligence gagné Eauchaudes, dans un ravin étroit.

La route longe et surplombe le gave aux eaux bleues qui bouillonne dans des cuves de rocher, le tout écrasé par d'austères montagnes.

Puis enfin, arrivée à Salies, vieille petite ville dont les maisons à bois apparent, à balcons extérieurs de bois également, sont enguirlandées de chapelets de piments, de bouquets d'épis de maïs et de haricots qui sèchent.

Sur la main courante, des melons, des tomates et de gros piments doux achèvent de mûrir. La petite ville a un air moyenâgeux, quelques-unes de ses maisons sont très, très vieilles.

Mon père ne veut pas rester plus d'un mois oisif, il a emporté un tableau commandé pour le terminer ici. Il lui faut pour cela une pièce exposée au Nord.

C'est à la Villa Saint Macary. Une grande pièce au rez-de-chaussée, c'est la salle à manger. Deux fenêtres donnent sur une terrasse qui domine la route de Puyoo de 5 ou 6 marches.

On voit sans être vu et sans être inondé de poussière (les routes goudronnées étaient encore inconnues) ; en arrière de la salle à manger, une immense cuisine un peu sombre malgré deux grandes fenêtres parce que ces dernières sont dominées par de grands marronniers. On fait la cuisine sur un 'Potager" ou dans la grande cheminée. Les rôtis s'y dorent à la broche qu'un système fait tourner et qui sonne pour avertir qu'il faut le remonter.

Nos chambres sont à l'étage au-dessus des pièces du rez-de-chaussée, ce qui serait parfait en plein été, mais en ce moment toute la literie nous parait tellement imprégnée d'humidité que nous ne pouvons dormir.

Les propriétaires, très obligeants, nous proposent d'autres chambres, l'une au midi, sur le jardin la mienne. Celle de mes parents au levant prenant la rue en enfilade ce qui la rend très gaie. Nous sommes autorisés à cueillir les fleurs du jardin et le raisin que nous disputons aux guèpes et qui est si bon mangé dans la rosée. Je suis émerveillée des haies de roses encore toutes fleuries.

Mais Salies n'est pas gai, La grande distraction, c'est la visite au Docteur. Celui-ci qui a l'habitude des malades graves, nous demande d'un air narquois "Qu'est ce que vous venez faire par ici ?" On lui dit que l'on vient faire maigrir Mademoiselle et il nous prend de moins en moins au sérieux.

Par bonheur - nous, les sauvages - nous rencontrons à la Villa St Macary, M. de Curzon qui fait partie avec mon père du comité de secours de l'Association du Baron Taylor. Il accompagne sa belle-soeur, réellement malade et deux nièces, filles d'une seconde belle-soeur. Ce sont gens aimables ; on se réunit au salon le Jeudi et le Dimanche soir ; on joue au "nain jaune",. pour l'honneur et pour distraire les deux nièces qui sont plus jeunes que moi. Comme cela manque de distractions, les fillettes et moi nous succédons au piano pour entretenir nos doigts, Faut-il que l'on s'ennuie pour que j'appelle cela une distraction

Et cependant que de choses nouvelles et captivantes ! ne serait-ce que cette eau si saturée de sel qu'il faut s'attacher dans les baignoires de bois pour ne pas surnager et s'essuyer rapidement au sortir du bain pour n'être pas cristallisé comme un jambon.

On trouve en abondance des fruits délicieux, des figues ! quand elles étaient chères on les vendait 15 centimes la douzaine. Seule l'eau douce était rare. Le puits de la ville était fermé par un cadenas dont seuls quelques privilégiés avaient la clé. C'était le meilleur puits de la ville, mais le Docteur ne voulait pas nous laisser boire de cette eau suspectée de recevoir des infiltrations et nous faisait boire de l'eau d'Evian ou analogue qui coûtait beaucoup plus cher que le vin dans ce pays de cocagne. Certaines fontaines étaient munies d'un bouchon cheville de bois fixée à la fontaine par une chaînette de fer pour ne pas laisser perdre une goutte de ce précieux liquide. Aussi, que de bavardages autour des fontaines, et aussi des discussions ; c'était si 1ong de remplir l'un de ces seaux de bois, cerclés de cuivre, en forme de cône tronqué que les femmes portent sur la tête.

Les jours devenaient courts ; la nouveauté de la broderie de Pau, en soies multicolores sur fond de coton imprimé ne suffisait plus à me distraire. Je voulais rentrer. Pour comble, il se mit à pleuvoir, le Saleïs, la rivière de Salies qui passait au bout du jardin déborda sur la route, puis il eut un incendie qui détruisit complètement la plus vieille maison de Salies; il me tardait de rentrer.

Sur le chemin du retour, visite de Bayonne, Biarritz et Fontarrabie, tout juste pour passer la frontière d'Espagne. Arcachon où nous nous étions fait un plaisir de retrouver Monsieur et Madame Grange - mais depuis notre départ de Paris, M. Grange était mort à la suite d'un refroidissement pris en voyageant et la maison était close et bien perdue à la lisière de la foret. Est-ce à cause de cela, je trouvais Arcachon mortellement triste, et cependant il faisait beau, les jardins étaient fleuris ; après la monotonie de la traversée des Landes, c'était agréable à voir.

Bordeaux enfin, le jour de la Toussaint ; il faisait assez doux pour grimper à l'impériale des trams pour mieux voir le mouvement des quais.

Retour à Paris où nous trouvons le froid, le brouillard. Notre maison est chauffée, mon frère y avait veillé, mais une maison si longtemps fermée est longue à se réchauffer.

Au cours de l'année 1892, Emile Munier peint à nouveau des sujets mythologiques et religieux : plusieurs Cupidons, une Déesse au bras levé, une Vierge priant et le célèbre Mother and child vendu en 1992 par Sotheby's à New York pour 70.000$.

Il poursuit son enseignement de peinture à la Ville de Paris.

Il aurait également été présent à l'Atelier de peinture de l'Ecole Polytechnique en 1892 et 1893.

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L'APOTHEOSE

Au début de 1893, Henri Munier épouse Marguerite Aumont, la fille de Blanche Aumont-Legave, une amie de Sargine Munier. Les deux familles se fréquentent de longue date et les jeunes gens avaient partagé leurs vacances au Mont Dore au cours de l'été 1891. Ils s'étaient fiancés fin juin 1892.

Emile et Sargine Munier organisent le mariage pour le 4 janvier 1893, date anniversaire de leur propre union en 1872.

Emile Munier leur offre en cette occasion son tableau Rêve d'enfant exposé trois ans plus tôt au Salon.

Cette année 1893 est pour Emile Munier une période d'intense production où il développe ses thèmes favoris :

- celui de la mère et l'enfant avec Bonjour petite maman

- celui de l'enfant et ses animaux familiers avec le fameux Playing with the kitten acquis par un collectionneur de Dallas. Ce tableau vedette d'une vente de Sotheby's à Londres en 1990 où il atteint le prix de 25.000£. Ce tableau a également servi de motif pour une affiche publicitaire aux USA.

Il présente au Salon de 1893 une allégorie L'esprit de la chute d'eau une nymphe en costume d'Eve qui n'est pas sans rappeler la Naissance de Vénus de Bouguereau.

Présent à l'exposition internationale de Chicago en 1893, il reçoit une médaille hors concours au moment ou Gershwin crée sa Symphonie du Nouveau Monde.

Emile Munier consacre beaucoup de temps à sa fille Marie-Louise avec qui il effectue de longues promenades à pied à la fin de chaque journée. Il parcourent les avenues, les quais et, s'il pleut, les galeries du Trocadéro.

Il réalise le portrait de Marie-Louise en 1893 et celui de sa belle fille, Marguerite Aumont-Munier, en 1894. Les deux tableaux en pied mettent en valeur et même idéalisent ces deux jeunes femmes chères à son coeur.

Au cours de l'année 1894, Emile Munier réalise quelques oeuvres dans son style affirmé peignant deux Cupidons dans Un sauvetage.

Il peint aussi, en 1894, un tableau inhabituel Premier prix : celui d'un chien parmi des fleurs à une exposition canine.

Il se consacre à l'aquarelle pendant son séjour au Mont Dore et réalise dans ce nouveau genre plusieurs aquarelles de jardins et de maisons en Auvergne.

Mais en 1895, Emile Munier est souffrant. Il peint encore La jeune fille et le panier de chatons.

Il fête son 55ème anniversaire le 4 juin puis il assiste au bonheur de son fils et de sa belle fille qui donne naissance à son petit fils Georges le 20 juin 1895.

Mais quelques jours plus tard, il donne son dernier cours de dessin rue Decamps, qui clôture l'année d'études de ses élèves. Le lendemain matin, il est victime d'une congestion cérébrale.

Emile Munier meurt le samedi 29 juin 1895 à 9 heures du matin et sera inhumé au cimetière de Montparnasse.

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Texte écrit en 1995 par Eric Divry, arrière arrière petit fils de l'artiste, à l'occasion du centenaire de la mort d'Emile Munier